Qui : Slash | Quand : 1989 | Quoi : son enfance, l'alcool, les relations avec Axl...


L'image standard du guitariste ou du chanteur de rock montre un individu égocentrique réclament l'attention de son entourage qu'il n'a jamais connue dans son enfance. Tu es issu d'un foyer dont les parents sont divorcés. Cela t'a-t-il influencé d'une manière ou d'une autre ? En d'autres termes, es-tu dans le rock à cause d'une enfance malheureuse ?
Non, pas vraiment. On m'a beaucoup accordé de liberté quand j'étais gamin. J'ai grandi dans une atmosphère de "communauté rebelle hippy". J'ai commencé à dire "allez vous faire enc..." à l'age de sept ou huit ans en gueulant ça à mes parents...(rires). Ils ont toujours été très attentifs et je n'ai jamais eu de problèmes familiaux. Rien, comparé à bon nombre de musiciens qui se sont plaints de s'être fait jeter de chez eux parce qu'ils laissaient pousser leur tignasse. Tu vois ce que je veux dire ? Ou bien : "Va te faire foutre, trouve-toi un boulot !". Rien de tout cela. J'ai toujours entretenu une certaine petite rébellion à l'école contre les profs, les flics, mais en ce qui concerne ma famille et mon enfance, c'était plutôt sympa.


Quels sont les plus intenses souvenirs de ton enfance en Angleterre ?
Lorsque je vivais en Angleterre, c'était bizarre, parce que j'étais le seul môme aux cheveux longs. Je suis né dans ce pays et j'ai été trimballé entre mes parents pendant un bout de temps. Puis finalement, je me suis installé à l'âge de 10 ou 11 ans à L.A.. Je ne me souviens pas de grand chose auparavant, juste les trucs classiques de tous les gamins. Quand j'ai eu 13 ans, je me suis dit que je n'en avais rien à foutre de tout, et c'est à ce moment-là que tout le monde est devenu sympa avec moi. C'est étrange, parce que je me sentais mal à l'aise et sur la touche depuis un bon bout de temps. Dès que j'ai été suffisamment vieux pour réaliser qu'il ne fallait pas s'en faire, j'ai pris ma guitare et je ne me suis plus soucié de tout ce qui m'entourait. Je suis alors devenu populaire. Pas populaire comme peut l'être un chef de bande à l'école, mais soudain, j'ai commencé à avoir beaucoup de copines. Et parallèlement, je me foutais vraiment d'elles. Je préférais passer un bon moment seul, sécher les cours et jouer sur ma guitare.


Ce n'est donc pas ta guitare qui t'a apporté une myriade d'amies ?
Non, je me suis mis à la guitare parce que j'ai réalisé que cet instrument produisait les sons qui m'étaient habituels. Je veux dire par là que j'ai grandi dans un bain de musique grâce à mes parents. Mon père avait une gigantesque collection de disques, et il passait pas mal de musiciens à la maison, Joni Mitchell par exemple. Mais en revanche, à cette époque, je ne savais pas reconnaître la batterie, ni ne différenciait la rythmique de la guitare soliste. Encore moins la basse des synthétiseurs ou les merdes de ce genre. Cela ne m'intéressait pas le moins du monde. Je n'y pensais jamais. Tout ce qui comptait, c'était la musique.


Certains guitaristes disent qu'ils ont été attirés par cet instrument pour une ou deux raisons : ils y voient un symbole phallique, une extension pénienne, et d'autres comme Ritchie Blackmore, disent que la guitare ressemble à une femme. Quelle est ton interprétation ?
Aucune de celles-ci. Je ne suis pas de ceux qui pensent que les guitares ont des seins et un cul. Je ne crois pas non plus que cet instrument soit un objet phallique. Ou même le symbole de quoi que ce soit. Pour ma part, je joue de la guitare pour me réfugier derrière, car je suis assez timide. Non, sérieusement, ce n'est que le plaisir de jouer qui me motive. La majorité des gratteux débutants jouent jusqu'à en crever, soit pour paraître, soit pour se forger une image heavy. Moi, j'ai choisi cet instrument pour sa sonorité.


On a tant entendu d'anecdotes de musiciens qui donnaient des noms à leurs guitares, comme Chuck Berry à sa favorite "Maybelline", ou qui dorment avec tel Zakk Wylde, ou même leurs confèrent certains pouvoirs, comme le pense Jimmy Page. Toi, dans tout cela ?
Aujourd'hui, j'ai fait une session-photo avec 11 de mes Les Paul. Et tu crois que je vais toutes leur donner un nom ? (rires) Le faire relèverait de l'idiotie. Ce ne sont que des instruments qui me servent à faire ma musique. Je ne vais pas me comporter comme les mémères avec leurs toutous. Quant aux superstitions entourant la guitare, je m'en contrefiche. Je ne range pas mes grattes dans un certain sens, ni selon un ordre bien précis. Pour moi, tout est noir ou blanc. Je suis ni abstrait, ni terre-à-terre. Euh..., je ne sais même pas en parler ! (rires) Tout ce dont je m'occupe, c'est de bien jouer de ma guitare, un truc normal en fin de compte.


Tout le monde a-t-il le droit de toucher ta guitare ?
En fait, je n'aime pas que l'on joue sur mes guitares. Elles me sont personnelles. Faites à ma main. Si une autre personne que moi joue sur l'une d'entre elles, tout naturellement elle se détraque. Enfin quoi, tu vois ? Je peux dire, rien qu'en la prenant en main, si quelqu'un a joué sur l'une de mas guitares pendant mon absence. C'est une des seules choses pour lesquelles je sois intransigeant.


Les habitants de Los Angeles vont fréquemment consulter des psychanalystes ou psychothérapeutes. Ils ont besoin de savoir s'ils sont parfaitement normaux. Te comptes-tu comme eux ?
Non. Je sais très bien que je ne suis pas complètement superficiel, mais en même temps, je ne suis pas si bien que ça dans ma peau. Ce n'est pas pour autant que je me cherche en permanence. Je ne vais pas examiner ma merde au microscope pour savoir tout ce qu'elle contient (rires). Je suis beaucoup plus réaliste que la majorité des habitants de cette ville. Je suis là, les choses arrivent, et heureusement elles engendrent le bon. Je suis assez optimiste en fait. Et d'ailleurs, fréquemment content. Je ne déprime que très rarement. Equilibré, quoi ! mi-figue, mi-raisin. Je suis le demi-verre que tient une personne et dont on ne sait s'il est à moitié plein ou à moitié vide.


A propos de verre, pourquoi bois-tu plus d'une bouteille de Jack Daniel par jour ?
Tu te trompes. Maintenant, c'est une bouteille de vodka. Le Jack Daniel me tachait les dents ! (rires) Je ne sais pas. C'est une habitude que j'ai prise vers 12 ans. Cela m'aide, ça me sort de ma coquille. Je me sens mal en société lorsque je suis sobre. Là, en ce moment précis, je n'ai encore rien bu, mais dans le monde, il me faut un remontant. Si je n'ai pas un verre, je me noie en moi-même. Et puis, j'aime ça (rires). J'aime être saoul. Je suis un gros buveur, même si cela me joue parfois des tours. Je dois reconnaître que je peux être odieux dans ces situations. J'ai dit quelque chose de très grossier à la copine de Fred Coury (de Cinderella) lorsqu'il nous a présentés. J'ai vraiment honte. Mais j'étais tellement bourré que j'ai dit une chose que ma volonté ne contrôlait pas. Je vais avoir à m'excuser. Tout le monde commet des erreurs, et j'aime boire.


Tu es un individu timide. T'éclates-tu facilement sur scène ?
Non, sur scène, je suis nerveux. Sur scène, je suis dans mon élément. Mais en même temps, je dois avoir beaucoup de cheveux devant le visage et éviter à tout prix le contact direct avec d'autres regards. Pour me planquer, j'ai aussi ma guitare. Dès que je suis en sécurité, je me laisse aller, je me détends. Tu vois ? Je ne pourrais en rien être chanteur. J'ai déjà eu à parler dans un micro, je chante, mais je me sens en peu trop timide pour ce genre de choses. J'essaye de les éviter. Je fais mon boulot, et puis c'est tout.


Axl et toi, avez une relation assez inconstante, assez violente. Penses-tu qu'une relation entre un guitariste solo et un chanteur devrait être une sorte de mariage ? et si oui, Axl et toi, Jagger et Richards, Tyler et Perry, sont-ils des couples de rock ?
Tout à fait. Les relations entre la plupart de ces deux types de musiciens sont très fortes, voir excessivement fortes. C'est toujours très intense. Avec des hauts et des bas. Ces musiciens, Axl et moi compris, sont des caractériels. Tous, autant que nous sommes, voulons que tout le monde ait le même point de vue que le notre. D'où des frictions inévitables. Le fait d'être guitariste soliste ou chanteur relève d'une très forte personnalité. Mais l'intensité de ces relations, au-delà des conflits, génère une certaine osmose. Une réaction chimique, qui lorsqu'elle se réalise correctement, comme c'est le cas entre Axl et moi qui sommes très liés, entraîne une absolue nécessité de s'épauler. Ce n'est pas pour autant que l'on ne se bagarre pas. Les plus grosses engueulades que j'ai eues, se sont déroulées avec Axl. Dramatiques parfois. Mais c'est grâce à cela que ça marche encore entre nous. Parfois, il nous faut décompresser. Après nous nous réconcilions, on s'excuse calmement. Généralement, je suis le premier à m'excuser. Puis on continue le travail comme si de rien n'était, mais l'esprit plus dégagé.


Qu'est-ce qui t'émeut le plus lorsque tu joues ou que tu composes ? Le sexe et l'amour, ou la violence et la haine ?
La haine. Pour te dire la vérité, l'amour a inspiré poins de 2% de tout ce que j'ai composé... OK, peut être 10%. Mais ces 10% ont une source d'inspiration amère, frustrée, voire haineuse. Je ne suis pas obsédé par le sexe, et d'ailleurs les femmes ne me font pas tant d'effets. Ainsi, il m'est difficile d'écrire des chansons d'amour. Ce n'est pas mon trip. Je suis un spécimen qui s'est protégé contre les peines de coeur. Pas de baise, c'est bien mieux que de continuelles disputes ! Mes meilleures expériences sexuelles correspondent à mes plus grosses bitures !


As-tu des rêves obsessionnels ?
Tu es la première personne à me poser cette question. J'ai beaucoup de rêves qui reviennent à répétition, mais je ne peux pas te les expliquer. J'en arrive au point où certains mauvais rêves reviennent si fréquemment que je commence à rentrer dans un monde totalement onirique. Je me réveille, et me rendors immédiatement pour connaître la fin de ces cauchemars. Y compris s'ils doivent me faire pisser de peur ! Cela m'arrive souvent, spécialement lorsque je n'ai rien bu. Si après une semaine de beuveries, je stoppe la boisson pendant deux jours, je retrouve mes rêves. Je rattrape le temps perdu, parce qu'on ne rêve pas lorsqu'on a bu. Ou peut être est-ce lorsqu'on est saoul que le rêve devient réalité, ou l'inverse. Je fais un rêve depuis que je suis gamin. Il n'a rien à voir avec la guitare, la musique ou quoi que ce soit. C'est juste un truc complètement loufoque, et tout ce que je peux t'en dire, c'est qu'il est totalement fantastique.


A quoi penses-tu quand tu es sur scène ?
La haine, l'agressivité, tout le déroulement de la journée, tout ce qui m'entoure, le stand de ventes de T-shirts, toutes les poules des dix premiers rangs. Tout. De la dernière fois où j'ai vu mon cousin, du prochain accord à venir. Le monde entier passe dans ma cervelle en même temps. Et si rapidement !


N'est-ce pas ce que l'on est censé ressentir en mourrant ?
Peut-être... C'est extrêmement intense. C'est très émouvant. Quand tu joues, t'y mets tout ton coeur, ton âme ; alors, toutes sortes de trucs remontent à la surface. Je connais certaines personnes qui sont arrivées au point de voir défiler le film de leur vie, et heureusement en sont revenues, mais je ne pense pas que ce soit la même sensation.


Interview publiée en 1989 dans le magazine "Hard Force".