Qui : Slash | Quand : 2000 | Quoi : Ain't Life Grand, la tournée en cours, le business...


On s'est vus pour la dernière fois en 1995, à Paris, lorsque tu assurais la promotion de ton dernier album solo, It's Five O'Clock Somewhere. Autant dire une éternité...
Oui, c'est vrai que ça a dû vous sembler long ! Cinq ans, ce n'est pas rien. Mais pour être franc, je n'ai pas vu le temps passer. Une fois cet album enregistré et défendu comme il se doit en live, j'ai rejoint Gn'R où j'ai, tant bien que mal, tenté de bosser en harmonie avec Axl. Malheureusement, ça n'a pas fonctionné et j'ai fini par quitter le groupe, purement et simplement. J'ai tourné quelques mois avec le Slash's Blues Ball, un projet sans lendemain, uniquement monté pour le fun, puis j'ai décidé de remonter le Snakepit, dans une version remaniée. Ce qui m'a demandé pas mal de temps. J'ai également pris part à bon nombre de sessions, histoire de plaquer quelques solos sur des albums de potes (parmi ces dernières citons, ente autres, Michael Jackson, Duff McKagan, Doro, NDLR). Lentement mais sûrement, un Snakepit nouveau a donc vu le jour. Nous avons composé et enregistré un album. Sincèrement, tout s'est enchaîné à vitesse grand V, je n'ai pas du tout eu l'impression de glander. D'ailleurs, rien que le fait de quitter Guns N' Roses m'a demandé un temps fou. Histoires contractuelles et juridiques...


On imagine que la décision n'a pas été évidente à prendre...
Pas tant que ça. Tout bien considéré, je n'étais qu'un cinquième de. Guns N' Roses. Je ne pouvais plus continuer comme ça. La solution s'est imposée à moi : il me fallait partir, question de vie ou de mort. C'était il y a quatre ans déjà... Je n'ai pas parlé à Axl depuis. Je crois bien que j'ai divorcé à la même époque (rires) ! Disons simplement que j'ai traversé une période un peu mouvementée. Ma situation est aujourd'hui plus stable : nous venons d'enregistrer un nouvel album produit par Jack Douglas qui a un CV incroyable, (l'homme s'est notamment illustré aux côtés d'Aerosmith, NDLR). Déjà, lorsque nous avons enregistré Appetite For Destruction, je voulais qu'il nous produise, mais chaque "gunner" avait son mot à dire et ça ne s'est pas fait. Avec Ain't Life Grand, je viens donc de boucler la boucle !


Ton emploi du temps chez les Guns était pour le moins chargé. Et quand bien même tu as continué à bosser après ton départ du groupe, tu n'as pas fais très peu de scène...
C'est vrai, et c'est ce qui m'a le plus frustré : je n'ai jamais cessé de jouer, mais je n'ai pas tourné à proprement parler, juste donné un concert de-ci, de là, histoire de... Simple question de survie, je suppose.


Comment se fait-il que le line-up actuel du Snakepit n'ait rien à voir avec celui qui avait signé le premier album ?
Il faut savoir un truc : It's Five O'Clock Somewhere était le résultat de jams entre potes, principalement des membres de Gn'R. Nous tapions souvent le boeuf chez moi, à quelques pas de mon élevage de serpents : du coup le nom Snakepit (fosse aux serpents, NDLR) s'est imposé à nous. Au fil du temps, nous avons enregistré quelques démos, puis un album. Et, rapidement, la question s'est posée de savoir qui allait pouvoir m'accompagner sur la route. Car la plupart de ceux qui m'avaient épaulé en studio avaient des obligations contractuelles, Matt Sorum en particulier. J'ai donc recruté des " intérimaires " qui m'ont ponctuellement dépanné.


Qu'est devenu ton chanteur, Eric Dover ?
Je l'ai croisé il y a peu. Il était censé bosser avec un membre de Jellyfish dans un groupe baptisé Pearl Drag. Mais il me semble que ça n'a pas fonctionné. En 1995, après avoir tourné avec le Snakepit, je pensais revenir dans Guns et mettre ce projet solo en veilleuse. On sait comment tout cela s'est terminé. J'ai donc décidé de totalement repenser le Snakepit, et il est vrai que je n'avais pas Eric en tête pour cette seconde mouture. Sa première participation avait été un simple concours de circonstances : il était au bon endroit au bon moment. Et l'aventure l'intéressait. Mais lorsqu'il s'est agi de voir les choses plus durablement et plus sérieusement, de s'impliquer corps et âme dans un vrai groupe, il s'est avéré ne pas être l'homme de la situation. Je voulais des musiciens totalement dédiés à la cause du Snakepit, n'ayant que ça dans la tête.


Peux-tu nous présenter ton nouveau line-up ?
Oui, Rod Jackson remplace Eric au chant, il est la dernière pièce du puzzle, il m'a en effet fallu un nombre impressionnant de vocalistes pour enfin parvenir à dénicher l'oiseau rare. Le truc fun, c'est que nous sommes quasiment voisins à Hollywood (rires). Et, curieusement, je n'avais jamais entendu parler de lui, nous ne nous étions même jamais croisés. Johnny G est à la basse, il m'épaulait déjà au sein du Blues Ball. Nous avons tous deux repéré Matt Laug (batterie) en faisant la tournée des clubs. Quant à Keri Kelli (second guitariste), je l'ai rencontré la première fois lorsqu'il jouait avec Alice Cooper. Voilà pour le tour du propriétaire !


Comment décrirais-tu ton nouvel album, Ain't Life Grand ?
Il s'inscrit tout droit dans la lignée de It's Five O'Clock Somewhere. De bons riffs bien hard, le genre de zique qui me fascine depuis mes quinze ans. Le principal changement vient, bien sûr, du line-up, de ce mix de fortes individualités. De nouveaux musiciens pour un disque qui ne déroutera pas les fans mais qui, pour les raisons que je, viens d'évoquer, est forcément différent de son prédécesseur. Nous avons passé pas mai de temps à apprendre à nous connaître. Je jetais une idée et les autres musiciens apportaient leur touche personnelle. Comme dans un "vrai" groupe. Au contraire du premier album qui n'était autre que ce que je considérais comme ma vision de ce que pouvait être un album des Guns N' Roses.


Il paraît que certains titres de Ain't Life Grand étaient, à l'origine, des morceaux que tu avais composés pour Guns et qu'Axl avait refusés...
C'est faux : la rumeur toujours... Au même titre que certains de mes morceaux qui figurent sur des albums de Lenny Kravitz et de Michael Jackson les compos du Snakepit n'auraient pu être jouées par Gn'R


It's Five O'Clock Somewhere était distribué par Geffen. Ce deuxième album sortira sur le label Koch (Edel en France). Pourquoi ce changement ?
Geffen est devenu Interscope, qui est tout sauf un label de rock. J'ai donc pris mes bandes sous le bras et je me suis barré pour tenter de trouver une maison de disques à échelle plus humaine, pas encore bouffées par le barnum "corporate". Et j'ai déniché Koch. Ils m'ont signé alors que Ain't Life Grand était déjà enregistré, que j'avais choisi son titre, son artwork, etc. Ils n'ont donc pas eu la possibilité de mettre leur nez dans nos compos et vont se contenter de sortir le disque. Nous avons ainsi pu passer au travers de toute cette merde bureaucratique.


Comment avez-vous décroché la première partie d'ACDC aux "States" ? Bien des groupes - et pas des moindres - étaient prêts à tout pour avoir cette chance...
Ouvrir pour ACDC est la concrétisation d'un rêve. Nous avions signé un deal avec Koch, étions enfin parvenus à planifier une date de sortie (notre album aurait déjà dû sortir en février dernier), et n'attendions plus qu'une chose : partir en tournée. Dans un premier temps, je me suis séparé de toute ancienne relation de boulot : manager, avocat, agent, etc. Je me suis détaché de tous ceux avec qui je bossais depuis, des années, histoire de couper définitivement les ponts avec les Guns N' Roses. Je ne voulais pas bosser avec quelqu'un qui ait une idée derrière la tête. J'ai donc embauché de nouvelles personnes en leur donnant, comme première consigne, de me dénicher des dates de concerts. Peu après, notre agent m'a fourni la liste des groupes qui prévoyaient de tourner aux Etats-Unis cet été, et je suis resté pétrifié en découvrant le nom d'ACDC. J'ai fait parvenir notre album à leur management qui a aimé, et il nous a proposé la place de guest. Dément ! Tous, au sein du Snakepit nous nous sommes fait les dents sort le répertoire d'ACDC lorsque nous débutions !


Qu'as-tu pensé des deux premiers concerts que vous avez donnés à Grand Rapide et Auburn Hills ?
Tout s'est bien passé, quand bien même il est très difficile d'ouvrir pour un tel groupe. Car le public dACDC, est assez exclusif. Alors nous faisons notre truc, sans nous soucier du reste, en fonçant dans le tas. Puis, le concert terminé, nous allons prendre place dans la salle pour assister au show d'ACDC, le meilleur groupe de rock qu'il m'ait été donné de voir. Ce qui est une bonne chose car, du coup, nous sommes obligés de nous surpasser. Je déteste parler business, mais il est indéniable qu'ouvrir pour un tel nom est la meilleure promotion qui soit. Tant de spectateurs ont ainsi l'occasion d'entendre ce que l'on fait... Cela étant, je me répète, c'est avant tout un rêve de gosse que je concrétise.


Que penses-tu d'Angus Young en tant que guitariste ?
C'est un grand. Je lui ai piqué mes meilleurs solos ! C'est marrant, hier soir, dans la salle, à l'entracte, le DJ a balancé cette reprise live de "Whole Lotta Rosie" que nous avions faite avec les Guns. Une "cover" dont Angus ne connaît vraisemblablement pas l'existence. Je ne lui en ai jamais parlé. Nous nous sommes croisés l'autre jour, le temps de nous saluer. Mais nous tournons deux mois avec ACDC, nous aurons donc davantage le temps de faire connaissance. Nous mourrons tous d'envie de jammer avec eux !


Chacun de ces deux soirs, vous avez joué un titre différent de Guns N' Roses ("It's So Easy" à Grand Rapids et "Mr. Brownstone" à Auburn Hills). As-tu l'intention de reprendre ainsi l'intégralité d'Appetite For Destruction ?
Non (rires) ! Ces deux titres de Guns sont les seuls que nous allons jouer sur la tournée car lis s'intègrent bien au répertoire du Snakepit. En revanche, je nous vois mal reprendre "Sweet Child O'Mine"... Avant de partir sur la route, nous nous sommes penchés sur la discographie des Guns afin de déterminer nos morceaux préférés respectifs. Encore fallait-il que ces derniers ne soient pas trop étiquetés Guns N' Roses : impossible en effet de jouer "Welcome To The Jungle" ou "Paradise City" car ces titres, dans l'esprit des gens, sont étroitement liés à l'histoire des Guns. Nous avons donc décidé de nous contenter des deux morceaux que tu as mentionnés.


En ouvrant pour ACDC, tu foules de nouveau des scènes gigantesques. Ton sentiment ?
C'est un feeling étrange. Ces dernières années, je me produisais essentiellement dans des clubs ou dés théâtres : c'est génial de pouvoir à nouveau s'exprimer sur une grande scène. Mais nous savons que, dans deux mois, nous quitterons les arènes pour retrouver le circuit des clubs. Nous tournons avec ACDC aux Etats-Unis, mais nous jouerons en tête d'affiche en Europe, sans eux (aux dernières nouvelles, Slash devrait aussi ouvrir pour ACDC en Europe, NDLR). L'Europe me manque. Mais je sais désormais que le compte à rebours est lancé et qu'il me suffit maintenant de faire preuve d'un peu de patience.


Pas trop frustrant de, ne jouer que quarante petites minutes ?
Si, c'est dur. A peine le temps de se chauffer qu'il faut déjà quitter la scène. Mais c'est le jeu, il faut savoir s'adapter et donner le maximum pendant ce court laps de temps. Je ne veux entendre personne se plaindre. C'est un job. Et nous savions dès le départ que ce ne serait pas facile.


L'univers hard a connu de multiples bouleversements ces cinq dernières années. Que penses-tu de la scène actuelle, des nouveaux venus ?
Je n'ai pas spécialement eu l'envie ni le temps de m'y intéresser tant j'étais concentré sur le Snakepit. A Los Angeles, il ne se passe absolument rien d'excitant. L'industrie musicale se mord la queue. On se croirait revenus en 1985, lorsque Guns en était à ses premiers balbutiements : aucun groupe cool ne parvient à décrocher de contrat et finit donc par mourir faute de pouvoir suffisamment s'exposer, alors que les maisons de disques sortent de la merde par palettes entières !


Guns N' Roses est aujourd'hui l'objet de nombreux hommages, réussis ou pas. Témoin, par exemple, l'album tribal "Appetite For Reconstruction". L'as-tu écouté ?
J'ai une anecdote savoureuse à ce sujet : un jour, un barman new-yorkais m'a avoué être un grand fan de Guns N' Roses et a demandé à un ami d'aller lui acheter "Appetite For Destruction" pour que je le dédicace. Quand l'ami en question est revenu, il m'a tendu ce "Appetite For Reconstruction" que tu mentionnes. J'ai d'autant plus halluciné que j'ai réalisé, après avoir jeté un coup d'oeil sur les crédits, que tous les "has been" de la Côte Ouest, les losers, les ex-untel, s'étaient donnés rendez-vous sur ce disque de merde (rires) ! Même Tracii Guns joue sur la plupart des titres. Putain, cet album est le disque que chacun de ces mecs rêvait de sortir un jour ! Résultat, je n'ai même pas daigné poser une oreille sur ces reprises. Ce ne peut être que de la daube de toute façon. Ça me fout en l'air. Je ne me sens pas du tout honoré ni flatté. Ici, il n'est question que de pognon.


Nous sommes persuadés, en revanche, que tu n'as pas pu t'empêcher d'écouter le nouveau titre de Guns N' Roses, " Oh My God "...
Je l'ai effectivement entendu lorsque je suis allé voir le film "End Of Days" au cinéma. Et je n'en ai pas pensé grand chose. Ma position est la suivante : je meurs d'envie d'écouter tout ce qu'Axl proposera de nouveau, ces morceaux qui ont plus ou moins précipité le split de Gn'R. Pas que je tienne, à dire du mal ou à rejeter en bloc un truc auquel je n'ai pas pris part. Après tout, Axl et moi avions beau nous prendre la tête, nous pouvions également partager les mêmes points de vue. Mais bon, nous avions tendance à nous diriger vers des associations contre nature en bouleversant le line-up, en intégrant des éléments étrangers au rock. Aussi, lorsque je suis parti, me suis-je senti en accord avec moi-même. Et quand j'ai entendu "Oh My God", ça m'a conforté, dans le fait que je n'avais pas quitté Guns sur un coup de tête, et que, définitivement, Axl et moi n'étions plus sur la même longueur d'onde au niveau musical. J'ai vraiment hâte d'entendre ce qu'il a bien pu composer depuis que nous nous sommes séparés. C'est son oeuvre, il ne vit que pour ça et n'a rien fait d'autre. J'ai croisé Izzy (Stradlin, ex-guitariste des Guns) l'autre jour, à mon anniversaire et je lui ai demandé : "Alors, où en est-il ?". Tout le monde se pose la question (rires) ! Aucun d'entre nous n'a vraiment changé au fil des ans. Excepté Axl, bien sûr...


Lorsque tu jettes un oeil en arrière, il ne t'arrive pas de te dire : " Quel gâchis !" ?
Non. Parce que j'ai quitté le groupe quand il était encore cool. Je n'ai pas le temps d'avoir des regrets, la vie est trop courte et continue, avec ou sans Guns. II me reste encore plein de choses à accomplir. Non, le seul truc qui me chiffonne, c'est ce que pensent nos vrais fans : "Vous aviez tout en main pour faire un carton. Alors pourquoi ?". Le problème, c'est que derrière cette façade sourdait une tension palpable. II était facile pour moi de brancher ma guitare et de jouer. Ce n'était pas aussi simple pour Axl. II fallait toujours qu'il foute tout en l'air. C'en était arrivé à un tel point que nous passions le plus clair de notre temps à nous foutre sur la gueule et que nous régressions musicalement. Je voyais venir, les problèmes je le sentais déjà pendant l'enregistrement des "Use Your Illusion".


Le Snakepit est donc une véritable bouffée d'air pur en comparaison...
Oui. Vous ne pouvez pas imaginer le pied que j'ai pris à tourner lorsque It's Five O'Clock Somewhere est sorti. Je me croyais revenu en arrière, aux débuts des Guns. Je n'essayais pas de recapturer une quelconque magie, je me contentais de jouer comme je savais le faire, sans bride. Nous avons tourné pendant quatre mois, j'ai rencontré des milliers de kids et pris un pied total. Alors, imaginez le réveil brutal lorsque je suis revenu dans Guns. Très rapidement, je me suis dit : "Et merde, ça me fait chier. Moi, je veux jouer sans me prendre la tête". Le Snakepit m'a ouvert les yeux. C'est mon groupe, mais c'est avant tout un groupe, un vrai. Qui cherche à se faire plaisir, à avancer. J'ai quitté Guns N' Roses par amour. Par amour de la musique et de la scène.


Interview publiée en 2000 dans le magazine "Hard-Rock".