Qui : Slash et Axl Rose | Quand : 1988 | Quoi : les débuts, le succès, Appetite For Destruction...


"Welcome To The Jungle" dépeint-il ce qui t'est arrivé quand tu as débarqué pour la première fois à Los Angeles ?
Axl : Les premières images de la vidéo sont celles d'un arrêt de bus et un mec essaie de me vendre un joint, puis un noir me montre l'arrêt de bus. Sur notre prochain EP, il y aura un titre sur cet arrêt, intitulé "One In A Million". J'ai quadrillé tout Fulham en pensant que c'était la plus petite ville que j'avais jamais vue et que j'y trouverais sans aucun doute Izzy. Je suis resté à Huntington (Californie) pendant un moment et un jour, j'ai trouvé cet appartement vide dont la porte était ouverte et où il y avait un skateboard dans un coin qui appartenait à Izzy. J'ai eu de la chance. J'ai payé une caisse de bière à des mecs pour qu'ils m'aident à trouver Huntington Beach, car je ne savais pas où c'était. Puis, j'ai fait du stop à travers tout le pays, de San Francisco jusqu'à Rhode Island en passant par Hollywood, la Floride, l'Indiana, pour essayer de trouver l'endroit où je pourrais m'installer et commencer à travailler avec un groupe.


On remarque immédiatement que tu possèdes un tatouage de la pochette de l'album sur le bras...
Axl : Le tatouage, je l'avais avant. Un ami à moi l'a conçu parce que je croyais fermement que quoiqu'il arrive avec ce groupe, où que l'on aille, ce que nous vendrions, ou si nous splittions et même changions de musicien, le tatouage était la chose qui m'importait le plus. J'aime les tatouages et je voulais quelque chose qui me rappellerait toujours le passé, une sorte de symbole. Je me suis fait faire la croix sur mon avant-bras droit et Geffen l'a tellement aimé que nous avons décidé de l'utiliser pour une pochette.
Slash : C'est le genre d'histoires que l'on raconte à ses petits-enfants...
Axl : Tu vois, Slash voulait avoir des cheveux plats. Nous nous y sommes employés...
Slash : Jamais de la vie...
Axl : Mais si, bien sûr que si...
Slash : Je n'ai jamais dit ça, comment oses-tu dire une chose pareille ?
Axl : C'est toi-même qui me l'a dit !
Slash : Pourquoi, j'étais ivre ?
Axl : Je n'en sais rien... ouais, je crois que tu étais bourré. Tu étais à la Hell House ("Hell House", la maison de l'enfer, est le nom de l'appartement dans lequel le groupe, au complet, vivait et faisait la fête à ses débuts).
Slash : Ce que j'avais dit, c'était : "Tu ne seras jamais capable de bien dessiner des cheveux bouclés, alors rend-les plus plats".


Le groupe est extrêmement dynamique sur scène...
Slash : Le dynamisme, c'est physique. C'est un état absolu, émotionnel et physique. Difficile de l'expliquer à l'aide de mots...
Axl : Slash est l'un des guitaristes les plus émouvants que j'ai jamais rencontrés ou vus. Dans l'Indiana, je jouais avec un guitariste du nom de Paul et j'ai appris ce qu'était le blues et l'émotion grâce à lui, grand fan de Jimmy Page. Quand je suis arrivé à L.A, j'ai vu tous ces gens qui essayaient d'être Eddie Van Halen et j'ai mis cinq ans à trouver quelqu'un qui jouait avec son coeur au lieu d'essayer de devenir le guitariste le plus rapide, une grosse star. La plupart du temps, Slash est très silencieux et il se dévoile très peu, jusqu'à ce qu'il empoigne sa guitare. Et puis, son coeur et son âme se déchargent au travers de son instrument. Pendant nos concerts, je m'assieds au côté droit de la scène devant son ampli quand il prend un solo, car cela représente tellement pour moi de l'entendre !


Quand vous vous êtes installés à Los Angeles, a-t-il été facile ou difficile de se conformer au mode de vie du coin ?
Axl : Izzy était passé expert dans l'art de s'infiltrer partout, moi non. Il m'a fallu près de deux années pour parvenir à parler avec les gens. Je restais debout à ne rien faire et regardais. Les gens ne vous acceptent pas facilement et, en plus, je portais des bottes de cow-boy ! On me disait que j'avais l'air de débarquer d'une autre planète. Il suffit de regarder autour de toi maintenant, nombreux sont ceux qui achètent des bottes de cow-boys pour leurs mamans à Los Angeles !


Comment en es-tu arrivé à rencontrer Slash ?
Axl : Nous avions fait paraître une annonce pour un "guitariste glam-punk-heavy-metal influencé par le blues", Slash s'est pointé et nous avons hurlé "noooon" !!! Le problème, c'est que nous le rencontrions à chaque coin de rue et, par la force des choses, nous nous sommes retrouvés à jouer avec lui. Cela a pris du temps, surtout pour moi, le fait d'apprendre à accepter certaines choses. Slash connaissait la scène de L.A. depuis toujours, Izzy courait à droite et à gauche, se greffait à chaque nouvelle tendance jusqu'à ce qu'il en eut marre de tout, sauf de sa guitare : c'était sa soupape de sécurité et il s'inquiète plus vraiment de quoi que ce soit.
Slash : C'est vraiment marrant, aucun de nous n'est de L.A., mais on nous considère comme un groupe d'origine de la ville. On s'est rencontré là, c'est tout, et il n'y a que nous cinq qui auraient pu déboucher sur Guns N' Roses. Avant, nous avions joué avec divers musiciens dans de nombreux groupes, mais il n'existe personne d'autre à L.A. avec qui nous aurions pu exprimer ce que nous exprimons aujourd'hui. Il fut donc inévitable que les cinq membres de Guns N' Roses travaillent ensemble un jour ou l'autre. C'était écrit, aucune autre combinaison ne fonctionnerait.


Alors, justement, comment fonctionne votre combinaison dans le domaine des compositions ?
Axl : J'ai entendu Paul McCartney, interviewé à ce sujet, et il disait qu'il n'y avait pas de mode d'emploi précis. Il racontait qu'il avait écrit des chansons dans toutes les situations et il se demandait s'il existait encore d'autres façons. Parfois, cela part d'un mot, d'une note, parfois d'une ligne, d'un riff, d'un solo, d'une frappe de batterie. Ça change toujours. Parfois aussi, une chanson vient immédiatement à l'esprit ; dans ce cas, tu es vraiment verni. D'autres fois, cela peut prendre près d'un an pour que la chanson dégage exactement ce que tu ressens. On a quelque chose en tête, mais on ne sait pas vraiment comment le faire ressortir. Il arrive également que ton travail soit le spectre de ce que tu avais en tête. Quelquefois, tu tapes dans le mille tout de suite.


Pas de règle absolue en composition, soit, mais il semble aussi que tu décides sciemment de ne pas avoir de style vocal particulier. Bref, tu chantes différemment sur chaque titre. Sur quel critère décides-tu ton registre vocal ?
Axl : J'essaie toujours de chanter une chanson dans des registres différents et, en fin de compte, je la chante pour qu'elle sonne au mieux. J'expérimente de temps à autres comme sur "It's So Easy". Je n'avais jamais chanté de la sorte auparavant, mais une voix aiguë semblait hors de question. J'ai donc travaillé dans les graves. "Mr. Brownstone" sonnait pour moi comme un funk à la Stones. Je jouais avec, et quand nous avons entendu la bande de répétition, ça sonnait bien. Nous avons travaillé dans cette direction et j'ai élargi mon registre vocal.


Que signifie le succès pour vous ?
Slash : Tu peux être numéro 1, populaire, et tout le monde t'apprécie. Tu te fais beaucoup d'argent. Et puis arrive un moment où tu ne représentes plus rien. Nous avons la chance de pouvoir travailler avec des gens qui nous sont proches, des potes qui nous font sentir qu'ils nous aiment réellement. Si demain, ça se casse la figure, tu appartiens au passé et tout le monde s'en fout généralement.
Axl : Nous savons qui resterait alors des amis. Mais les autres ?
Slash : Allons nous devenir des employés de bureau quand tout sera fini ? Retourner chez nos parents ? Dans cette optique, ce métier est dur, mais ça vaut le coup.


Vous êtes les nouveaux "mauvais garçons" du business...
Axl : ça fait une paye que nous sommes de "mauvais garçons". Seulement maintenant, nous devons nous soucier de nos affaires, être "mauvais garçons" et "braves petits gars" à la fois.
Slash : Nous ne pouvons devenir "mauvais garçons" une fois les heures de bureau achevées...
Axl : Je suis psychopathe et c'est un sacré problème d'essayer de se dire : "Maintenant que le travail est bouclé, je peux entrer dans cette pièce, laisser s'exprimer mon côté psychopathe et tout casser". Je dois faire la part de choses, quand je dois tout détruire autour de moi et quand je dois être aimable avec tout le monde.
Slash : Et comme ces choses-là ne sont pas évidentes, c'est dur à vivre.


Quels sont vos loisirs quand vous n'êtes pas en tournée...
Axl : J'essaye de prendre des vacances, mais je détruis tout ce qui m'entoure parce que je ne sais pas me calmer, me contrôler.
Slash : Lorsque nous ne tournons pas, je suis une épave. Je ne sais quoi faire de moi.
Axl : Tu as entendu parler de Joe Walsh (ex-Eagles) qui a détruit une chambre d'hôtel. Moi, je détruis simplement mon appartement et j'essaye ensuite de le remettre en place. Quand ça arrive, ce n'est vraiment pas le pied, mais ça arrive. Tu te retrouves dans une situation - on a tous eu des enfances difficiles - où beaucoup de choses qu'on te pardonnait quand tu étais gosse, on ne te les pardonne plus désormais. Ce sont peut-être des choses idiotes et ça finit par se conclure plutôt que de jeter une télé par la fenêtre, acte déjà vu, donc chiant. Essayons plutôt de faire basculer une auto du toit en mettant une brique sur la pédale d'accélérateur.


Qu'a-t-elle eu de si terrible, ton enfance ?
Axl : J'ai reçu une éducation très stricte. Je n'avais pas le droit d'écouter de la musique à part des vieux Elvis Presley et des chansons religieuses signées Jimmy Swaggert. Dès l'age de 5 ans, j'écoutais ces bandes. Cela a duré des années entières et puis, en fin de compte, on m'a accusé de me droguer, de boire, choses que je ne faisais pas. On m'a jeté de chez moi parce que je ne me coupais pas les cheveux alors que j'avais les oreilles découvertes tout le temps. J'avais 16 ans et, arrivé là, je me suis dit : " Si on doit m'accuser de tous ces vices, autant vraiment les avoir commis ". J'ai peut-être pris le mauvais chemin, mais il me semble que je m'en suis sorti quand même. Cela a pris du temps, et aujourd'hui encore, j'ai du mal à accepter certaines choses que j'ai vécues dans mon enfance, certaines choses que je n'avais pas le droit de faire ou d'entendre. Par exemple, je suis en train d'explorer toutes les formes de musique imaginables et j'ai beaucoup de boulot pour me mettre à jour.


Revenons à Guns N' Roses. Vous êtes le groupe le plus en vue aux Etats-Unis en ayant vendu plus de deux millions d'albums de Appetite For Destruction. Vous venez juste d'accéder à la première place des Billboard charts. Comment prenez-vous la chose ?
Slash : Nous sommes comme cinq gamins, et, en fait, tout le travail que nous fournissons est généré par ces cinq gamins. Or, maintenant, il y a plein de gens qui sont dépendants de ce que nous faisons, pour qui nous représentons l'essentiel. Pour certains, nous sommes le seul groupe avec lequel ils peuvent travailler, et c'est une responsabilité assez étrange. Si jamais on devient trop difficile à vivre, ils peuvent toujours essayer de bosser avec un autre groupe ailleurs. Ils peuvent inscrire sur leurs cartes de visite : "Nous avons travaillé avec Guns N' Roses", c'est une référence.


Aimez-vous le travail de studio ?
Slash : Je fais partie de ceux qui aiment enregistrer même si on l'a fait qu'une seule fois sérieusement. J'y mets toute mon énergie. L'autre facette, c'est d'aller jouer en public. C'est fantastique de se retrouver devant une foule enthousiaste, c'est une des meilleurs expériences qui soit !
Axl : On s'amuse à taquiner le public, en jouant, par exemple, nos titres dans un ordre différent de celui attendu. J'aime anticiper sur les réactions du public à l'égard du groupe. Chaque concert est donc radicalement différent du suivant et nous ne savons jamais comment nous allons conclure le show. On ne sait si on va être en mesure de jouer un rappel, ou même si je ne vais pas, comme c'est souvent le cas, me foutre en rogne et quitter la scène. Vous pouvez le voir sur l'émission live de MTV. Tout était professionnel sauf le responsable des retours de scène qui n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait. Aux oreilles du public, le concert était parfais, pendant que nous, nous entendions des astronefs atterrir sur scène, des échos inversés... Du feedback hurlant, tu vois... Steven ne savait pas ce qui nous arrivait. Au bout du compte, je tente d'agresser le responsable des retours de scène avec mon micro et c'est alors que le tour-manager a bougé et c'est lui qui a dégusté. C'était sinistre. Mais ça laisse une place pour la folie, car les gens ne savent jamais ce qui va se passer. Et si je ne reviens pas le lendemain, les rumeurs fuseront, du style "Axl est mort d'overdose".


Interview publiée en 1988 dans le magazine "Hard Force".