Qui : Slash | Quand : 1993 | Quoi : la scène, le public, le départ d'Izzy...


Lors d'une tournée européenne, vous pulvérisez des records d'audience et les concerts sont annoncés comme événements à ne manquer sous aucun prétexte. Cela vous met-il davantage sous pression ?
Oui, et c'est malheureux. C'est le prix à payer pour avoir joué des concerts de dimension gigantesque. Quand tu montes sur scène devant une foule considérable, il n'y a que les vingt ou trente premiers qui peuvent réellement te voir, jauger tes expressions et te voir baver ou te brûler avec ta cigarette. En fait, tout le monde s'attend à un spectacle inoubliable et c'est pour cela que nous sommes ainsi sous pression, car on attend tellement de nous. Je suis étonné que nous jouions sur des scènes aussi vastes que celles auxquelles nous sommes maintenant abonnés.


As-tu toujours le trac avant un concert ?
Oui, ça ne fait pas un pli. En fait, je pense que si tu n'as pas le trac, tu donnes un mauvais concert. C'est quelque chose que j'ai appris sur le tas : on ne me l'a jamais enseigné. Quand donner un concert est un défi, cela veut dire que tu as encore quelque chose à prouver, pas au public, mais à toi-même. Ainsi, tu attaques le concert fermement décidé à plaire au public : tu as le feu aux fesses et une nouvelle confiance en toi. Si tu abordes un concert en pensant que tout va marcher comme sur des roulettes, c'est là que tu te plantes. Je sais, mais je parle en mon nom, pas pour les autres membres du groupe ! Chacun de nous se prépare de manière différente avant de grimper sur scène et de jouer devant une foule considérable.


Avec tout cet influx nerveux qui te traverse pendant un concert, es-tu épuisé une fois le set terminé ?
Pas vraiment, mais j'essaie de me calmer afin de revenir sur terre. C'est impératif. Ce qu'il y a de pire avec des concerts comme ça, c'est que tu es vraiment " ailleurs " quand tu joues, même s'il y a des hauts et des bas pendant le concert, et il convient de prendre du recul car, une fois le concert terminé, tu sais que le restant de la soirée sera autrement moins excitant. Je ne veux pas passer pour quelqu'un de négatif, mais ce que je ressens sur scène est si fort que je sais que je ne retrouverai pas de telles sensations jusqu'au prochain soir. C'est pour cela que je trouve interminable l'attente entre deux concerts et je m'en arrache les cheveux d'impatience.


Lorsque tu ne te sens pas au mieux de ta forme ou que les soucis personnels prennent le dessus, comment te motives-tu pour assurer un concert ?
Peu importe comment je me sens, je sais qu'il faut que je réponde présent. En fait, tout se précipite quand j'entre dans la pièce où sont installées mes guitares, que je me rends ensuite vers la rampe menant à la scène et que j'entends alors les rugissements de la foule. C'est à cet instant là qu'une autre énergie qui vient de je ne sais où se réveille. En fait, deux heures avant un concert, je m'énerve contre tout ce qui bouge. Une heure après la fin du spectacle, je me sens aussi minable que je l'étais avant. Heureusement, il y a cette énergie inouïe qui me transcende. Elle vient de la foule, mais aussi énormément de l'enthousiasme qui habite le groupe et de ce qu'il veut réaliser. Donc, quand nous montons sur scène, nous oublions tous nos tracas car le show nous emporte complètement et nous adorons cela. S'ensuit une communion entre nous et le public. Dès cet instant, tous tes pépins psychologiques ou physiques se sont évaporés, du moins le temps du concert. Une fois qu'il est terminé, tu repenses à tes problèmes, jusqu'au prochain spectacle.


Lors de vos dernières dates américaines, qui se sont déroulées dans des stades, vous avez présenté d'anciennes compositions. Depuis près d'un an, vous n'aviez pas joué "The Garden" ou "Dead Horse". Vous avez aussi interprété pas mal de morceaux en acoustique. Quels sentiments as-tu éprouvé en rejouant de tels titres ?
Ça m'a bien plu. J'aimerais jouer d'avantage d'anciens morceaux qui ont été mis de côté. Ils apportent de la fraîcheur. J'aime prendre tout le monde à contre-pied, et ainsi démontrer que Guns N' Roses est capable de tout. Il est vrai que nous pouvons jouer "Welcome To The Jungle" les yeux fermés, mais c'est excitant de se lancer dans un "The Garden" ultra heavy et faire tomber à genoux tout le public, car il ne s'attend pas à un tel volte-face. C'est avec de petits trucs comme ceux-là qu'une tournée gagne en excitation.


Quelles sont les compositions que tu préfères jouer sur scène, celles qui te font vraiment prendre ton pied ?
"Live And Let Die" parce que j'utilise ma guitare double-manche et que je dois faire gaffe à ce que tous les réglages soient conformes. Hier, j'adorais jouer l'intro de "Paradise City" avant que le morceau ne démarre réellement ou bien me lancer dans un solo de guitare imprévu sur le programme. La fin de "Double Talkin' Jive" me fout les jetons, mais il est vrai que je suis souvent intimidé par ce que joue. Tout dépend du son de ma guitare, du degré de forme des autres musiciens, de la position d'Axl sur scène. Ma perception d'une chanson peut changer d'un soir sur l'autre.


Penses-tu que Guns N' Roses soit devenu un groupe rangé ces dernières années ou êtes-vous encore dangereux, malgré votre énorme popularité internationale ?
Je suis persuadé que nous ne sommes pas devenu un groupe rangé. Nous nous sommes surtout concentrés à améliorer l'aspect technique du groupe, mais ce n'est pas un point dont nous avons discuté autour d'une table. Nous ne faisons que monter sur scène, en sachant que nous voulons bien jouer et que cela sonne bien. C'est important car nous savons que, dans les arènes, le son peut facilement être mauvais. Même si tu es un groupe de hard rocket que tu désires mettre en évidence une attitude pseudo-punk, le son peut-être particulièrement épouvantable parce que dans les arènes, il est beaucoup trop clair. Nous préférons de loin monter le volume à fond et faire sauter les portes d'une petite salle. Dans un tel lieu, personne n'entend tes fautes. C'était comme ça dans le passé, où nous faisions tout péter. En revanche, dans les stades, le son est complètement cristallin. J'ai entendu des bandes lives de Guns dans de telles circonstances et tu ne peux pas te permettre la moindre approximation. Tu dois en être parfaitement conscient, surtout moi en tant que guitariste. J'ai vraiment envie de présenter une image de moi qui soit celle d'un bon guitariste.


Revenons un instant sur ce qui s'est exactement passé avec Izzy Stradlin et comment se déroule la collaboration avec son remplaçant, Gilby Clarke ?
Après notre période de consommation effrénée de drogues, je crois que chaque membre du groupe est parti dans une direction différente, car chacun savait comment il pouvait se débarrasser de sa toxicomanie. Dès que nous avons cessé de prendre des drogues, Izzy a perdu de l'intérêt pour le groupe. Il y avait certainement d'autres raisons à son départ, mais il est très difficile de résumer la personnalité en une petite phrase. Or, il m'a bien semblé que son envie de jouer au sein de Guns N' Roses avait disparu. Il se sentait mal à l'aise avec nous tous car nous avons vécu d'intenses moments émotionnels en tentant de nous sortir de notre mélasse. Izzy ne voulait plus faire partie du jeu. Quand nous sommes sortis de tous ces problèmes et que nous avons remis les pieds en studio, Izzy ne se sentait plus concerné par le groupe. Il n'a pas apporté grand chose au niveau des morceaux de Use Your Illusion et le groupe a mal vécu cette période. Ensuite, nous sommes repartis en tournée, et il a fini par laisser tomber. Avant son départ, j'étais vraiment excédé parce qu'il se contentait de monter sur scène pendant près de trois heures avant de s 'évaporer dans la nature. En plus, quand nous étions sur scène, je sentais qu'il n'était plus avec nous. Heureusement, Gilby s'est investi dans le groupe ; il y a beaucoup d'interactivité musicale entre lui et moi et les vibrations au sein du groupe sont nettement meilleures. Je ne souhaite pas dire du mal d'Izzy, car nous avons joué ensemble pendant des années. Or, il était évident qu'il n'avait plus envie d'être membre de Guns N' Roses. Gilby est, lui, très enthousiaste. Je le sens, et sa technique est différente de celle d'Izzy. Maintenant, je n'ai plus à assurer la majorité des parties guitare, comme c'était le cas dans le passé.


Quels sont désormais tes rapports avec Axl ?
Ils sont vraiment très, très personnels. Je n'aime donc pas trop en parler, car tout a été déformé, d'une manière négative. Par conséquent, je ne désire plus évoquer ma relation avec Axl. Je suis un peu méfiant. Axl et moi sommes vraiment des partenaires ; nous nous apprécions vraiment, et je ne veux pas que notre amitié soit souillée par des ragots imaginés par la presse ou n'importe quel autre média. Je n'ai donc pas envie de me livrer sur ce point.


Dernièrement, tu as joué avec divers musiciens d'horizons différents, de Lenny Kravitz à Rose Tatoo, en passant par Michael Jackson et Bob Dylan. Y as-tu trouvé du plaisir ?
Oui, car j'aime jouer de la guitare. Il y a des médecins qui vont faire du golf, et moi je me mets avec d'autres musiciens pour jammer, et les résultats sont enregistrés. La plupart des gens avec lesquels j'ai eu la chance de collaborer sont des artistes que j'admire et respecte d'une manière ou d'une autre. Je les ai rencontrés, j'ai joué avec et notre collaboration a été très enrichissante pour moi. Chaque fois que Guns N' Roses est en période d'inactivité, je ne peux rester seul à ne rien faire. Je traîne donc avec d'autres musiciens et joue avec eux. Quand j'ai commencé à faire cela, j'ai reçu de nombreux coups de fils d'artistes me demandant si je voulais les rejoindre et à quelle période je serais disponible. Peu à peu, cela a commencé à me prendre tout mon temps, car je n'avais jamais pensé que je serais autant sollicité. Toutefois, je me suis toujours beaucoup amusé à faire cela.


Les fans de Guns N' Roses trouvent-ils étrange que tu aies pu jouer avec Michael Jackson ?
J'aime jouer avec une variété de musiciens différents, car d'un point de vue technique, cela me permet de travailler sur des registres musicaux différents, dans des environnements que je ne connais pas. Tout m'aide à grandir. C'est un défi que de s'adapter à des styles variés. Si je devais jouer avec un groupe au répertoire identique à celui de Guns N' Roses, cela ne m'apporterait rien de plus, n'est-ce pas ? En jouant avec d'autres musiciens dont tu apprécies la musique, tu apprends tout en t'amusant. Quand tu enregistres, tu n'es pas forcément conscient que tu évolues musicalement ;tu t'en rends compte avec le recul. Quand Michael m'a convoqué, cela m'a vraiment flatté car, en dépit de ce que peuvent dire ses détracteurs, il possède un talent unique. Je n'allais certainement pas refuser cette collaboration, car il n'y a rien de ridicule à jouer sur un disque de Michael Jackson. Ce ne fut pas facile car je suis d'une nature désorganisée, mais j'en suis fier. Maintenant, je me contrefous de tout le battage commercial fait autour de Jackson et toutes ces ordures que les paparazzi publient sur lui. Mon job fut simplement de jouer le mieux possible avec lui et faire en sorte que le disque sonne bien. Ce fut le cas, et c'est tout ce qui compte pour moi.


Te sens-tu las de ces deux années sur la route ?
Je crois que la seule fois que je ne suis pas fatigué, c'est bien lorsque je monte les marches qui accèdent à la scène et que j'entends les cris de la foule. Puis, j'attaque le premier morceau et cette énergie, jaillie de nulle part, te requinque. Elle dure deux belles heures. Par contre, hormis les concerts, tout est vraiment ennuyeux à mourir. Deux ans, c'est vraiment long, et dire que ce n'est pas fini ! Quand tu arrives au 450ème concert et que tu sais qu'il y en a encore 80 à assurer, cela devient très irritant. Paradoxalement, je ne me sens pas fatigué de jouer.


Comment expliques-tu que Guns N' Roses soit devenu un tel phénomène populaire ?
J'ai énormément de mal à accepter le fait que nous en sommes là, car c'est une responsabilité très difficile à assumer que d'être dans notre position. Il m'arrive d'entrevoir des failles dans lesquelles nous pourrions tomber et qui nous détruiraient. Nous avons tout juste réussi à survivre des changements de personnel, et avons toujours eu des problèmes. Nous pourrions nous planter dans notre optique musicale ou prendre de mauvaises décisions professionnelles. Donc si je prends tout cela en considération, j'ai du mal à considérer le groupe comme un phénomène. De plus, si je ne devais penser qu'à ça, je laisserais de côté ce qui semble le plus important : l'intégrité du groupe, ce qu'il représente et ce qu'il cherche à véhiculer. Bien entendu, notre succès est énorme, mais cela rend d'autant plus difficiles nos efforts pour nous concentrer sur notre musique et être un groupe plausible.


Tu es un fan de rock, particulièrement de Led Zeppelin et Aerosmith. Comment situes-tu le Guns N' Roses de 1993 et sa musique par apport aux grandes époques respectives d'Aerosmith, de Led Zeppelin et des Rolling Stones ?
La seule chose que je puisse dire au sujet de Guns, c'est que nous sommes encore en vie ; nous sommes des survivants. N'exagérons rien, car nous n'avons sorti q'un album studio, un mini E.P. acoustique. Nous n'avons enregistré que deux véritables 33 tours, et c'est cela qui me fait penser que nous ne pouvons pas encore nous permettre d'affirmer que nous sommes un groupe marquant. Je veux enregistrer un nouveau disque, qu'il soit une réussite et, ainsi, Guns N' Roses ne sera plus considéré comme un groupe de chanceux. A l'avenir, quand le groupe ne sera plus en activité, j'aimerais bien être là pour savoir ce que l'on en pensait. Actuellement, je ne travaille pas pour que Guns N' Roses soit un groupe "historique", mais j'aimerais croire que, dans les années 90, au moins nous avons eu notre importance.


Interview publiée en 1993 dans le magazine "Hard Force".